Christopher Fomunyoh, directeur Afrique du Ndi:
"Le bilan du président Biya peut davantage être"
Le Messager, Cameroun
Le 6 Octobre 2004
A 49 ans, le Camerounais Christopher Fomunyoh, dirige la région Afrique du National democratic institute (Ndi), l'Ong américaine basée à Washington et chargée de la promotion de la démocratie, de la gouvernance responsable et du respect des droits humains. Il a à ce titre observé les processus démocratiques et de transition politique dans une dizaine de pays africains dont le Ghana, la Zambie, le Mali ainsi que l'Afrique du Sud. En mission à Johannesburg Le Messager l'a joint pour cet entretien exclusif. Il se prononce sur l'élection présidentielle au Cameroun, notamment l'environnement de son organisation ainsi que les enjeux du futur.
On vous avait annoncé comme aspirant à la candidature à cette élection présidentielle 2004. Vous ne vous êtes pourtant pas signalé jusqu'à la clôture du dépôt des candidatures. Volte-face ou simple repli tactique?
Il est vrai que pendant un certain temps depuis 2003, les informations ont circulé dans ce sens et j'ai été très touché par les encouragements des uns et des autres ainsi que par les conseils qui m'ont été adressés par les acteurs de la société civile et des leaders politiques toutes tendances confondues. Seulement, comme disait un de mes anciens camarades de faculté, quelqu'un de mon statut ne se porte pas candidat pour jouer au figurant. De par mon expérience et la vision que j'ai pour mon pays, ma contribution serait plus appropriée dans un environnement qui favorise un vrai débat d'idées avec des propositions d'alternatives concrètes afin que les populations puissent faire le bon choix en toute liberté et en connaissance de cause. Or le contexte actuel ne s'y prête pas.
Il y a 16 candidats en lice. Ce record est-il un indicateur de la vitalité de la démocratie camerounaise? Ou simplement l'effet de calculs égoïstes de la classe politique?
Je ne voudrais pas porter un jugement de valeur sur les intentions de ceux qui se sont présentés. Sur le chemin de la démocratisation de notre pays, chacun pose des actes et devrait endosser la responsabilité de ses choix devant les compatriotes et devant l'histoire. Peut-être qu'il y en à qui pensent pouvoir gagner une pluralité de voix dans une élection présidentielle à un tour, car en d'autres circonstances avec 16 candidats pesant d'un poids relativement égal, on peut se faire élire avec moins de 10% de voix exprimées ; d'autres voudraient profiter de l'occasion pour faire de l'éducation civique citoyenne ou pour d'autres calculs que je ne pourrais vous dire. Cela étant, il est vrai aussi qu'après avoir prêché pour un travail d'équipe et de candidatures limitées au sein des différentes coalitions ou groupements de partis d'opposition qui se manifestaient au début de l'année, les populations doivent se poser des questions sur la crédibilité et la sincérité de certains des 16 candidats. Certes, la vitalité de la démocratie dans notre pays ne saura se mesurer par le nombre élevé de candidatures ni par près de 200 partis politiques enregistrés.
La mise à disposition des fonds légaux pour les candidats a été renvoyée pour la fin du contentieux sur les candidatures, vidé une semaine après l'ouverture de la campagne. Est-ce équitable?
Je dois avouer que j'ai éprouvé beaucoup de difficultés à saisir la motivation de cette décision alors qu'il aurait été plus raisonnable de donner une première avance aux 16 candidats en attendant le règlement du contentieux pour finaliser la mise à disposition de ces fonds de campagne. On ne peut s'empêcher de se poser des questions sur la motivation réelle de ceux qui ont décidé ainsi car ils sont bien intelligents pour être seulement incompétents, surtout qu'à mon avis, l'esprit du texte prévoyant les fonds de campagne aux candidats n'envisageait pas de pénaliser les 16 premiers candidats ou de les prendre en otage alors qu'ils n'ont rien à voir avec le contentieux en cours. En attendant une semaine avant le scrutin pour mettre les sommes à la disposition des candidats, on risque de soustraire à la chose toute sa substance et sa raison d'être.
Le président sortant a annoncé sa candidature à travers un message à la nation diffusé en direct sur les médias de service public. Est-ce équitable ? Ce message vous a-t-il marqué?
Je crois qu'il faut être réaliste et se dire que partout à travers le monde, les présidents en exercice jouissent de certains privilèges dont l'avantage de pouvoir s'adresser à la nation à tout moment et par les moyens de leurs choix. Evidemment, en période électorale, certains de ces présidents se montrent plus élégants envers les compétititeurs d'en face et plus respectueux envers leurs populations que d'autres. Mais ce qui m'a le plus marqué c'est que l'opposition n'ait pas saisi cette occasion pour confronter le bilan du président Biya sur les cinq points qu'il a formulé pour justifier sa décision de briguer un nouveau mandat. Et pourtant, ce ne sont pas des arguments qui manquent, étant donné que sur chacun des points mentionnés, des contradictions pouvaient se faire sur la base de résultats et de chiffres allant dans le sens inverse.
Par exemple.
Sur le plan économique, le président Biya a parlé d'une reprise de la croissance alors qu'il est de notoriété publique que notre pays vient de rater son programme de réduction de pauvreté avec le Fonds monétaire international ; que les grandes sociétés d'Etat d'autrefois telle la Camair connaissent des difficultés énormes ; que certains établissements financiers, notamment ceux qui gèrent les épargnes de petites familles et de fonctionnaires connaissent beaucoup de difficultés ces derniers temps ou bien que le taux de chômage dans notre pays est si élevé avec des jeunes bacheliers qui se retrouvent conducteurs de motos ou "benskins", et des licenciés qui deviennent chauffeurs de taxi et vendeurs à la sauvette et ceci dans un pays où l'on retrouve dans presque tous les secteurs des personnes qui étaient déjà en service au moment de l'Indépendance, il y a plus de 40 ans. On peut dire la même chose sur la politique extérieure de notre pays. Lorsque le président Biya parle de rayonnement international du Cameroun, posez la question à Transparency International, lisez les rapports de Human Rights Watch, Africa Analysis ou du Département d'Etat Américain sur les droits de l'homme ; parlez avec d'autres leaders africains qui se mouillent le maillot sur les activités de l'Union Africaine et du Nepad ; et vous aurez une autre idée de l'image de notre pays à l'extérieur. Voilà quelques réflexions qui auraient pu émaner de l'opposition juste après ce discours, ce qui aurait pu soulever un débat plus en profondeur et présenter des options plus claires aux Camerounais.
Depuis une dizaines d'années, il y a un désaccord profond sur la confection du fichier électoral. Le chiffre de 4,6 millions d'électeurs fourni par le Minatd et annoncé par l'Onel le 23 septembre vous semble-t-il crédible?
On verra plus clair sur cette question après ce scrutin parce que pour une population de près de 16 millions et avec la démographie qui est la nôtre, on devrait s'attendre à plus d'inscrits soit quelque 8 millions selon certaines estimations. C'est ainsi partout à travers le monde, qu'il y ait un écart entre les citoyens en l'âge de voter et les inscrits sur les listes électorales ; et il faudra enquêter en profondeur pour savoir si dans notre cas, cet écart est dû aux difficultés d'obtention de la carte d'identité et par des inscriptions sélectives ou bien si cela s'explique par l'indifférence de la part des citoyens qui ne s'inscrivent pas parce qu'ayant perdu toute confiance en notre processus électoral.
Quels sont les enjeux de cette élection qui met en compétition inégale le président en fonction depuis 22 ans et une pléthore de candidats dont les principaux chefs de l'opposition?
Il y a un adage qui dit qu'une élection ne vaut pas forcément une démocratie ; donc il faut considérer celle-ci, quelle que soit son issue, comme une étape de traversé mais qui nous projette forcément devant d'autres étapes peut-être plus critiques et plus décisives sur le chantier de la démocratisation au Cameroun. Une élection a tout de même l'avantage de tester la viabilité des institutions de gouvernance ainsi que le niveau d'activisme et de maturité politique des citoyens. Personnellement, j'en tire déjà plein d'enseignements sur la nécessité d'équilibrer davantage les pouvoirs constitutionnels afin de distancer au maximum les acteurs de potentiels arbitres. Par exemple, et sans porter un jugement personnel sur le titulaire du poste en ce moment, j'estime que l'implication du Minatd devrait être revue à la baisse, en faveur d'une plus grande responsabilisation de l'Onel et du pourvoir judiciaire. Je vous avoue que j'aurais les mêmes inquiétudes si jamais il y avait une alternance dans ce pays et qu'un Minatd, membre du bureau politique de l'Upc, du Sdf ou de l'Udc soit appelé à certifier a priori qui peut être candidat du Rdpc. En politique, la perception est aussi importante que la réalité et nous devrions tout faire pour éviter des suspicions inutiles. Vous voyez que pour moi les enjeux se définissent plus en terme de l'enracinement de la démocratie dans notre pays pour l'avenir qu'en terme d'individus, surtout que la plupart de ceux qui sont en compétition appartiennent à la même génération qui nous a conduit la où nous nous trouvons aujourd'hui.
Paul Biya, Ndam Njoya et Fru Ndi sont issus du même moule politico-idéologique, façonné par trente ans de parti unique. Peut-on s'attendre à une reconfiguration de la scène politique camerounaise à l'issue de cette élection qui consacre le dernier mandat constitutionnel du président en poste?
Une reconfiguration de la scène politique camerounaise est presque obligatoire. Et elle viendra soit par la force de la jeune génération toutes tendances confondues qui devrait s'imposer, soit par la force de la nature. Le renouvellement social est un phénomène que personne ne peut arrêter et je suis convaincu que cela arrivera aussi dans notre pays quel que soit le gagnant de l'élection du 11 octobre.
Le Cameroun sortira-t-il renforcé de ce scrutin, après l'échec permanent de l'organisation des précédents scrutins dont notamment le tout dernier en juin 2002?
Ça dépendra de l'appréciation que le peuple camerounais fera du scrutin et de l'interprétation que donnera le gagnant à sa victoire. Si le président en exercice gagne et qu'il estime que cette victoire est une approbation de sa gestion de 22 dernières années, certains pensent qu'il continuera à conduire les affaires de l'Etat de la même manière alors que d'autres n'excluent pas qu'il se serve de ce dernier mandat pour marquer son passage dans l'histoire du Cameroun en voulant léguer un héritage le plus positif possible. Et si c'est l'opposition qui passe, peut-être qu'on verra le programme de la transition appliqué comme ils l'ont promis. Dans les deux cas, je trouve que notre démocratie est encore très fragile et demande beaucoup plus d'attachement et d'efforts, d'autant que certaines dispositions de la constitution de 1996, sont à mon avis, susceptibles de conduire dans la période post-électorale à une centralisation plus accrue des pouvoirs entre les mains de l'exécutif, voire d'un seul individu.
Que devra faire le gagnant pour assurer un redéploiement du Cameroun sur le plan économique, culturel et diplomatique?
D'abord celui-là devra commencer par une reconnaissance que des vrais problèmes existent dans les domaines que vous citez, ensuite s'ouvrir à tous ceux qui peuvent apporter une contribution dans la recherche des solutions, pour en fin de compte adopter une nouvelle politique plus engagée, plus ouverte et plus orientée vers des résultats palpables pouvant rehausser le niveau de vie des Camerounais.
Quelle synergie doit-on mettre en oeuvre pour capitaliser l'apport et les compétences multiformes de la diaspora en vue de la Reconstruction du Cameroun?
Cette question mérite tout un chapitre car je suis navré de constater que notre pays n'exploite pas à sa juste valeur les compétences et même les relations professionnelles et autres des compatriotes de la diaspora. Allez-y voir le poids qu'accordent à la diaspora de leurs pays respectifs les présidents Abdoulaye Wade du Sénégal, Thabo Mbeki de l'Afrique du Sud, John Kufuor du Ghana et bien d'autres, y compris Alpha Konaré auprès de l'Union Africaine, et le bénéfice que cela apporte. Il faut voir comment les pays asiatiques utilisent leurs compatriotes vivant en Amérique du Nord de même qu'un Etat comme Israël, avec lequel nous entretenons de très bonnes relations, dépend et bénéficie de l'apport de sa diaspora. Au lieu de faire autant ou à la limite de copier ce qui est rentable chez les autres, nous semblons nous mettre dans une logique d'indifférence et parfois même de confrontation inutile alimentée par de petites intrigues. Je ne peux pas vous dire combien ça me choque d'entendre parler des hostilités qui existent entre certaines communautés camerounaises à l'étranger et certaines représentations diplomatiques de notre pays dans différents pays d'accueil. Là aussi il y a un travail important de réconciliation et de réorientation à faire. J'ai moi-même des propositions concrètes à ce sujet et je suis sûr que les compatriotes sont nombreux à avoir le même souci et qu'ils seront heureux de contribuer à la réflexion le moment venu.
Par Interview réalisée par Alex Gustave AZEBAZE
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