L'Afrique a l'epreuve de la democratie
Dr Chris Fomunyoh du National institute for international affairs
Par David Cadasse
Qu'est ce que la democratie en Afrique ? Les democraties africaines
sont-elles independantes ? Quels sont les freins a l'exercice de la
democratie sur le continent ? Le Dr Chris Fomunyoh (Cameroun), directeur
regional pour l'Afrique au National institute for international affairs
a Washington decortique ces questions de fond et nous explique son action
sur le continent.
La democratie est-elle une coquille vide en Afrique ? Assurement non
pour le Dr Chris Fomunyoh, expert camerounais en democratisation en
Afrique. Directeur regional pour l'Afrique au sein de l'ONG National
institute for international affairs (DNI)
a Washington, il a mene de nombreux programmes de soutien a la democratie
dans pres de vingt-cinq pays africains. Figure de reference dans la
presse americaine pour les questions africaines, il se penche ici sur
la pertinence et les ecueils de la democratie sur le continent et revient
egalement sur les actions du NDI.
Afrik : La democratie est-elle un systeme
politique qui convient a l'Afrique ?
Chris Fomunyoh : La democratie a toujours existe
dans les societes traditionnelles africaines. Ce n'est donc pas un concept
nouveau. Dans les villages, le chef travaille avec ses conseillers et
les villageois lui expriment leurs griefs. Il existe meme un systeme
judiciaire. Aujourd'hui, on compte parmi les Etats democratiques l'Afrique
du Sud, le Senegal, le Benin, le Mali ou encore le Ghana. Ces democraties
n'ont rien a envier a celles des autres continents. Meme s'il existe
des particularites africaines, il y a des principes universels applicables
a toute democratie.
Afrik : Quelle serait votre definition de
la democratie ?
Chris Fomunyoh : C'est le mode de gouvernance qui
permet aux gouvernes de participer regulierement aux prises de decision
sur la vie quotidienne et la possibilite de pouvoir tenir ses elus responsables
de leurs actes. C'est une definition succincte, mais qui regroupe les
differents elements de la democratisation : des elections, la separation
des pouvoirs, l'independance de la justice, un Etat de droit
Tous
ces elements constituent pour moi l'ensemble que l'on appelle democratie.
Afrik : L'Afrique est-elle prete pour la democratie
?
Chris Fomunyoh : L'Afrique est prete. Je ne fais pas partie
de ceux qui estiment qu'on peut avoir un democratie au rabais en Afrique.
Il n'y a pas une ecole de democratie. La meilleure ecole, c'est la pratique.
Meme s'il y a eu des rates en matiere d'elections, comme au Togo, en
Guinee Conakry ou au Zimbabwe, il y a aussi eu des succes. Des cas ou
les elections ont ete menees de facon reguliere et ont abouti a une
alternance paisible. Comme au Senegal, au Mali, au Ghana, au Benin ou
encore en Afrique du Sud. Ces exemples prouvent que l'Afrique est prete
a embrasser la democratie. Et la ou il y a une volonte politique, la
democratie fonctionne.
Afrik : Le tribalisme, le nepotisme et la
corruption ne sont-ils pas des freins a l'exercice de la democratie
sur le continent ?
Chris Fomunyoh : Cela a amene a des derives, y compris
a des guerres civiles dans les pays ou ses pratiques ont ete utilisees
par des leaders politiques. Mais ces faits existent dans toutes les
societes. Il n'y a pas de societe qui ne soit pas plurielle dans le
monde d'aujourd'hui. La societe americaine est par exemple un amalgame
de differentes origines. La diversite que l'on trouve dans les pays
d'Afrique est une chose qui devrait etre utilisee a bon escient. Mais
malheureusement, dans les cas ou il n'y a pas de volonte politique,
ou le debat politique est limite et trop personnalise, les leaders se
reposent sur leur ethnie ou leur tribu et cela fausse l'essentiel du
jeu politique et de la democratisation.
Afrik : Avec l'eternelle ingerence des pays
du Nord dans les affaires africaines, les democraties du continent peuvent-elles
etre reellement independantes ?
Chris Fomunyoh : On ne peut pas nier l'interference
des puissances etrangeres en Afrique. C'est un phenomene reel, malheureux
dans certains cas, que l'Afrique a connu meme pendant la periode guerre
froide. Bien des conflits en Afrique etaient alors des conflits par
procuration pour le compte des grandes puissances. En depit de la faiblesse
et de la fragilite du continent africain, je ne serais pas fataliste
concernant ces interventions etrangeres. Nous constatons que la nouvelle
generation veut avoir un role important a jouer dans la determination
de l'avenir de leur pays. Et que parfois, par exemple en Cote d'Ivoire,
l'avenir sera determine par les Ivoiriens eux-memes en depit des positions
des uns et des autres sur le plan international. Au Liberia, qui vient
de connaitre une crise importante, on a effectivement vu l'intervention
d'une puissance etrangere, mais le plus grand travail est fait par les
Africains de la Cedeao (Communaute economique des Etats d'Afrique de
l'Ouest, ndlr). Il y a un reveil des consciences. Meme si on retrouve
les anciennes habitudes de l'epoque coloniale, ou des trois premieres
decennies apres les independances, de plus en plus les Africains se
prennent en main pour prendre en charge l'avenir leur pays.
Afrik : N'y a-t-il pas, comme en Tunisie,
des democraties de facade en Afrique ?
Chris Fomunyoh : Pour certains pays, c'est vrai
et c'est decourageant. Au depart, beaucoup de gens pensaient qu'il suffisait
d'organiser une seule election pour que le pays ou le regime devienne
democratique. Or ce n'est pas le cas. La democratie doit etre renforcee
au quotidien et une seule election ne suffit pas pour transformer un
regime autoritaire en regime democratique. C'est un travail de longue
haleine que doivent mener les leaders politiques, la societe civile,
les legislateurs, les acteurs du pouvoir judiciaire, tous ceux qui peuvent
contribuer a l'elargissement des espaces de liberte en Afrique.
Afrik : L'apres Sassou (Congo), Bongo (Gabon),
Mugabe (Zimbabwe) ou Eyadema (Togo) est un gros point d'interrogation.
La transition n'est-elle pas dangereuse pour les pays qui ont connu
pendant des annees un meme leader ?
Chris Fomunyoh : Il faut reconnaitre que c'est une
difficulte reelle que nous connaissons sur le continent. Cela explique
pourquoi la transition est devenue difficile au Zimbabwe. La transition
devient tres difficile a chaque fois que le pouvoir politique a ete
trop personnalise. Il faudrait mettre en place des institutions fiables
et perennes pour institutionnaliser la democratisation. Dans ce cas,
quelle que soit la personne en place, la democratie pourra fonctionner.
Etre au pouvoir depuis trente ou quarante ans est un constat d'echec
car cela signifie qu'on s'accroche au pouvoir, qu'on n'a pas su le gerer
et preparer la succession.
Afrik : Vous travaillez aux Etats-Unis. La
politique etrangere americaine est assez controversee. Pensez-vous que
les Etats-Unis ont une reelle envie de faire avancer les choses en Afrique
?
Chris Fomunyoh : De la ou je suis, je constate qu'il
existe une reelle volonte d'aider l'Afrique et de creer une synergie
entre le continent noir et les Etats-Unis. Mais il faut reconnaitre
qu'il y a plusieurs Ameriques. Ce n'est pas uniquement le pouvoir executif
qui pese aux Etats-Unis. Le Congres a aussi son mot a dire. Il peut
voter des budgets ou les diminuer a sa guise. Il y existe tout de meme
sur la place de Washington un pool de personnes et d'organisations qui
s'interessent a l'Afrique et qui voudraient aussi porter leur contribution
dans leur domaine d'expertise.
Afrik : Le National democratic institute est
present sur les cinq continents. Quels sont vos grands chantiers actuels
sur l'Afrique ?
Chris Fomunyoh : En ce moment, nous sommes tres
actifs en Republique Democratique du Congo ou nous avons travaille avec
les partis politiques non armes depuis les negociations du dialogue
intercongolais en vue de la preparation de la transition politique et
des elections a venir. Nous sommes aussi tres actifs au Nigeria, ou
nous avons ouvert une antenne depuis la transition entre le regime militaire
et le regime civil. Nous avons travaille pendant trois ans avec les
deputes de l'assemblee nationale dans le domaine de la formation, de
l'assistance technique. Nous avons observe les dernieres elections et
nous continuons a travailler avec les organisations de la societe civile
et la legislature nigeriane. Nous sommes egalement presents au Niger,
au Mali, en Sierra Leone, en Afrique centrale, au Mozambique, en Namibie
et au Malawi.
Afrik : Pouvez-vous nous citez un exemple
concret d'action du NDI ?
Chris Fomunyoh : Nous avons realise en 2002, au
Senegal, un tres bon programme avec les femmes en politique. Nous les
avons preparees aux dernieres elections municipales et regionales. Nous
avons reussi avec le concours des formations senegalaises a former plus
de 3 000 femmes dont 1 800 ont ete elues dans des municipalites. Nous
allons continuer a travailler avec elles pendant deux ans pour les former
et leur donner les capacites de jouer pleinement leur role d'elus locaux.
Afrik : Vous dites etre tres present au Nigeria.
Les dernieres elections presidentielles ont ete entachees de graves
irregularites. Quelle est votre analyse sur le scrutin ?
Chris Fomunyoh : Le NDI a envoye une delegation
de 50 personnes pour observer les elections. Il faut replacer le scrutin
dans le contexte de transition que vit le pays. Les gens ont considere
les elections de 1999, comme un referendum sur le retour des militaires
dans les casernes. La plupart des Nigerians etaient interesses par le
depart des militaires du pouvoir quelle que soit la facon dont les elections
etaient organisees. Par contre, en 2003, les attentes etaient plus elevees
car ils vivaient deja sous un regime civil. Cela explique pourquoi beaucoup
ont ete plus critiques en 2003 qu'en 1999. Et puis il faut reconnaitre
que l'opposition nigeriane etait tres dispersee, donc le President Obasanjo
aurait pu gagner les elections loyalement. Mais ce qui a un peu fausse
ce resultat, c'est que dans certains Etats ou Obasanjo aurait pu l'emporter,
les resultats qui ont ete annonces etaient plus eleves que le nombre
d'inscrits. Une fraude flagrante. Les delegations qui ont envoye des
observateurs dans ces Etats ont ete obligees de porter ces observations
sur la place publique. Ce qui a laisse le sentiment que le scrutin etait
truque. Et c'etait effectivement le cas, dans certains Etats, mais je
crois que dans l'ensemble, l'issue aurait ete la meme, meme si l'organisation
des elections avaient ete homogene. Je crois d'ailleurs qu'Obasanjo
a reconnu que la commission electorale n'avait pas bien fait son travail.
Il a annonce que le pays etait en train d'envisager des reformes qui
devraient aller dans le sens du renforcement du systeme electoral pour
que le scrutin de 2007 soit mieux organise qu'en 2003.
Afrik : La NDI est une interface entre le
departement d'Etat americain et l'Afrique. Vous a-t-on deja accuse d'etre
a la solde de Washington ?
Chris Fomunyoh : Au debut des annees 90, au moment
ou le processus de democratisation se mettait en place, beaucoup d'Africains
ne comprenaient pas les interventions des organisations comme les notres
car nous nous disions financees par le Congres americain mais en meme
temps non gouvernementale, donc independant. Mais au fur et a mesure
qu'ils nous ont vu a l'?uvre, que nous avons travaille en partenariat
sans se placer en donneurs de lecons, ils ont fini par comprendre que
nous n'avions d'autre mission que le soutien et de la democratisation
a travers le continent. Nous travaillons vraiment de la maniere la plus
transparente possible et cela a rassure beaucoup de nos partenaires
et interlocuteurs.
[1] Le Dr Fomunyoh est dote d'une licence en droit de
l'universite de Yaounde (Camroun), d'une maitrise en droit international
d'Harvard (Etas-Unis) et d'un doctorat en sciences politique de l'universite
de Boston. Professeurs vacataire a l'universite de Georgetown, il est
egalement associe au Centre africain pour les etudes strategiques. Il
possede egalement sa propore fondation, The
Fomunyoh Foundation.
[2] Le NDI a ete cree en 1983 par un Act du Congres americain afin
de renforcer et de promouvoir les institutions democratiques et le pluralisme
politique dans les democraties emergentes a travers le monde.
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