Christopher Fomunyuh "En tant que Camerounais, je suis préoccupé par l’avenir de mon pays"
ICIcemac, Cameroun
Le 17 Juin 2005
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Le symposium des anciens chefs d’Etat africains que Bamako a abrité la semaine dernière est désormais entré dans l’histoire. Le mérite de la rencontre de Bamako, c’est d’avoir permis à une quinzaine d’anciens dirigeants africains de partager leurs expériences de l’après-pouvoir et, ce faisant, de montrer aux autres, et notamment à ceux qui sont au pouvoir aujourd’hui, qu’il peut y a un vie après le pouvoir. Le Messager dresse un bilan de l’initiative avec Christopher Fomunyuh du NDI à l’origine de ce symposium."Depuis 1992 le Ndi n’a pas d’activités au Cameroun mais il n’empêche que nous soyions en communication avec des démocrates camerounais de tous bords et continuons la réflexion sur l’avenir démocratique de ce pays. En tant que Camerounais, je suis préoccupé par l’avenir de mon pays, à l’heure actuelle comme dans l’avenir, et je crois que le moment venu le Ndi cherchera à apporter sa contribution."
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Le symposium des anciens chefs d’Etat africains que Bamako
Le symposium des anciens chefs d’Etat africains que Bamako a abrité la semaine dernière est désormais entré dans l’histoire. Place donc aux leçons que l’on se doit de tirer d’un sommet qui, s’il est suivi d’effet, pourrait constituer un tournant important dans la gestion de la carrière présidentielle en Afrique. Que faire, que devenir après le pouvoir semble en effet être la chose qui fait le plus perdre le sommeil aux leaders africains. Et l’absence de réponse à cette épineuse question est bien souvent à l’origine de la confiscation du pouvoir à laquelle l’on assiste, parfois impuissant, dans bon nombre de pays africains.
Le mérite de la rencontre de Bamako, c’est d’avoir permis à une quinzaine d’anciens dirigeants africains de partager leurs expériences de l’après-pouvoir et, ce faisant, de montrer aux autres, et notamment à ceux qui sont au pouvoir aujourd’hui, qu’il peut y avoir une vie paisible après le pouvoir, tant dans son pays que partout où le devoir peut appeler à servir. Il y a encore hélas, beaucoup de chefs d’Etat en exercice qui redoutent la présence dans leur pays de leurs prédécesseurs. Les exemples abondent, notamment en Afrique centrale où beaucoup sont contraints à l’exil, et où certain président redoute jusqu’au retour dans le pays de la dépouille de son “ illustre prédécesseur ” mort en exil. Au terme de la rencontre historique de Bamako.
Le Messager dresse un bilan de l’initiative avec Christopher Fomunyuh du National Democratic Institute (NDI) à l’origine de ce symposium, et un ancien chef d’Etat, Miguel Trovoana de Sao Tome et Principe, seul pays d’Afrique centrale présent au sommet de Bamako.
“C’est une conscience morale que nous venons de réveiller”
A l’issue de la conférence des anciens chefs d’Etat africains que le Ndi vient d’organiser à Bamako au Mali, Le Messager a rencontré le directeur régional Afrique de l’Ouest et du Centre du Ndi pour faire le point de la rencontre.
Dr. Christopher Fomunyuh, vous avez été décrit par le président du National Democratic Institute (NDI) auquel vous appartenez, comme l’artisan de ce symposium. Pouvez-vous expliquer aux lecteurs du Messager ce qui a milité en faveur d’une telle initiative, et surtout dresser un premier bilan au moment où le rideau tombe sur la rencontre de Bamako?
Je dirais que le bilan est très positif, dans la mesure où nous avons vu des personnalités qui ont accumulé une expérience dans la gestion de leurs pays, dans la gestion des hommes et des ressources en Afrique, qui ont confirmé leur disponibilité à continuer à servir le continent dans le domaine de l’humanitaire, dans le domaine du social, et sur les questions qui touchent à la démocratie et à la bonne gouvernance. C’est cette ouverture d’esprit qui m’a le plus marqué, de même que cet attachement que ces personnalités ont encore pour l’avenir de ce continent. C’est rassurant de voir que tout n’est pas perdu, de constater que nous avons parmi nous des ressources capables de nous aider, et c’est à nous de valoriser ces ressources.
Vous vous étiez fixés, en initiant un tel événement, un certain nombre d’objectifs ; pouvez-vous nous dire si ceux-ci ont été atteints et, si oui, en quoi?
D’abord pour ce qui est des objectifs il y en avait trois visés par l’organisation de cette conférence. Le premier étant de recenser les ressources humaines qui existent dans ce domaine afin de permettre à ces anciens chefs d’Etat d’échanger leurs expériences. Ensuite, il fallait trouver l’opportunité d’apprécier ces expériences et la contribution que leur départ a pu apporter aux pays pour négocier des transitions crédibles et en douceur. Enfin il était question de valoriser la présence de ces anciens chefs d’Etat afin de les mettre à la disposition des acteurs politiques africains, que ce soit de la société civile ou de ceux qui gouvernent et en plus de voir dans quelle mesure ces anciens présidents peuvent continuer à s’investir dans la médiation des conflits, leur prévention, la mission d’observation des élections, les secteurs dans lesquels il faut une certaine présence politique pour pouvoir décrisper des crises avant que cela ne dégénère en conflits armés. Voilà grosso modo les trois objectifs. Est-ce que ces objectifs ont été atteints, je dirais oui parce que maintenant le départ de la fonction présidentielle n’est plus un sujet tabou.
Vous constatez que cette conférence a fait beaucoup d’échos et d’échanges francs entre les participants, ce qui fait que ceux qui parmi les présidents en exercice songeaient encore prolonger leur mandat indéfiniment devraient se rendre à l’évidence qu’ils sont minoritaires et que le fait de quitter la fonction présidentielle est quelque chose que les Africains ont adopté dans leur vaste majorité, tant parmi les populations que parmi ceux qui ont gouverné. De deux, nous avons constaté que ces anciens dirigeants ont une fois de plus confirmé leur disponibilité à assister les présidents en exercice ou les structures régionales et africaines qui sont impliqués dans les préventions de conflits. C’est ainsi que pendant les débats ils ont passé en revue un certain nombre de conflits qui perdurent sur le continent et dans la sous-région, en marquant leur option pour que tout changement de pouvoir en Afrique se passe par la voie constitutionnelle avec des élections crédibles. Je crois que là c’est déjà un message très fort qui vient non seulement des organisations non gouvernementales mais de ceux qui ont géré les Etats et surtout qui ont bien géré. C’est une conscience morale que nous venons de réveiller pour notre continent.
Le communiqué qui a sanctionné les assises de Bamako apparaît comme une simple déclaration d’intention. Il n'y a pas de position forte par rapport à des questions précises en Afrique. Il y a plutôt une volonté exprimée. Premièrement pensez-vous qu’une telle déclaration conçue comme elle l’a été peut influencer de quelque manière que ce soit les différents problèmes qui sont évoqués et qui existent réellement aujourd’hui en Afrique? Deuxièmement est-ce que vous pensez que ces anciens chefs d’Etat dont certains traînent quand même de vieilles casseroles et qui sont, par conséquent, disqualifiés pour parler d’un certain nombre de questions pourraient avoir une influence positive sur ceux qui sont encore au pouvoir aujourd’hui et vous le dites aimeraient rester aussi longtemps que possible?
Pour ce qui est du communiqué final, j’ai été impressionné par les efforts faits par ces anciens chefs d’Etat de sortir une déclaration qui porte sur la substance. On n’a pas senti la langue de bois, de formules d’ordre diplomatique. Ils ont pris le temps nécessaire pour mettre un accent sur des questions brûlantes de l’heure en Afrique, que ce soit dans le domaine des élections, de la santé, des conflits, de la promotion des femmes en politique et cela m’a beaucoup impressionné. Il faut aussi avouer que c’est la première rencontre du genre et le fait déjà de les rassembler était significatif en soi. Il est également à reconnaître qu’il y a beaucoup de ces anciens chefs d’Etat qui ont grandement participé aux consultations préliminaires, qui nous ont conseillés lors de la préparation de cette conférence mais qui malheureusement à la dernière minute n’ont pas pu effectuer le déplacement sur Bamako pour des raisons de calendrier.
Lesquels par exemple?
Je pense à l’ancien président du Sénégal, Abdou Diouf, à Alpha Omar Konaré du Mali, au président Mandela et à bien d’autres qui nous ont beaucoup conseillé et aidé pendant la période préparatoire mais qui à la dernière minute ne pouvaient pas effectuer ce déplacement. Dans les mois et années à venir, vous allez constater que ce groupe va s’élargir et à un certain moment donné ils commenceront à prendre des positions très déterminées par rapport à des problèmes spécifiques sur le continent ; ils pourront aussi beaucoup peser sur la balance. (...) Il y a donc plusieurs façons de rendre ces personnalités utiles, l’essentiel étant de reconnaître la valeur de leurs expériences et de réfléchir avec eux, ainsi que d’autres partenaires, pour voir comment on peut les mettre à la disposition du continent dans un sens positif.
Que répondez-vous à ceux qui pensent que le Ndi veut s’appuyer sur ces anciens chefs d’Etat pour relayer l’expansionnisme américain à travers le continent africain?
Je crois que ce n’est pas juste et l’on ne peut jamais interdire aux gens d’avoir des interprétations diverses. Il n’y a pas de ressources plus importantes que la présence de ces chefs d’Etat sur le continent africain. Vous constaterez que d’une part il y a de grandes universités dans les pays du Nord qui essayent de repêcher ces chefs d’Etat pour les mettre à la disposition de leurs étudiants, ce que nous sommes incapables de faire nous-mêmes sur le continent. Quel que soit le cas je pense que le Ndi rend service au continent africain en nous rappelant de bien utiliser les ressources qui sont à notre disposition. Ces ressources, comme disait quelqu’un, c’est des bibliothèques ambulantes. De deux, je vous dirais que le Ndi travaille sur le continent depuis des années et nous avons eu la chance de travailler dans 36 des 53 pays que compte le continent. Nous avons aussi des partenaires dans tous les pays au sein de la société civile, des partis politiques. On n’avait pas trop besoin de ces anciens chefs d’Etat pour faire quoi que ce soit dans la mesure où notre rôle ne consiste pas à imposer nos idées mais à soutenir des partenaires qui se battent au quotidien pour le renforcement de la démocratie en Afrique. A mon avis cette accusation n’a pas de raison d’être.
Cette rencontre s’est tenue à Bamako au Mali, c’est-à-dire un pays qui a au moins un ancien chef d’Etat en vie. Ce chef d’Etat, on ne l’a vu ni de près ni de loin à ce symposium. Cela m’amène à vous poser la question de savoir sur quel critère a présidé exactement au choix de vos invités, car autant on peut citer le cas de Moussa Traoré au Mali, autant on peut citer ceux d’autres anciens présidents sur le continent qui n’étaient pas ici…
Le choix de Bamako pour cette conférence n’était pas un fait du hasard. Nous avons voulu que la toute première conférence se tienne dans un pays qui a connu une transition démocratique, un pays dans lequel les relations entre le président en exercice et son prédécesseur sont cordiales, un pays où il y a des espaces de liberté et d’expression. C’est sur cette base que nous avons retenu un certain nombre de pays dont le Mali et nous avons décidé de lancer cette première conférence ici à Bamako. Il est vrai que lors des consultations avec les anciens chefs d’Etat et même avec certains présidents en exercice, il était important que le pays d’accueil cadre d’abord avec une certaine politique c’est-à-dire le message que cette conférence voulait véhiculer. Ce message, c’est une vie après la présidence, il ne faut pas s’éterniser au pouvoir ni détruire son pays parce qu’on veut rester au pouvoir à vie. C’est cela que nous avons retenu de Bamako et que nous avons dans le cadre de cette consultation arrêté un certain nombre de principes parce qu’il ne fallait pas que pour la première conférence il y ait des personnalités dont la présence allait gêner les débats que nous avons voulu susciter par l’organisation de cette conférence. C’est pour cela que celui que vous avez cité et qui est arrivé au pouvoir par un coup d’Etat militaire et qui a instauré le parti unique ne pouvait pas faire partie du groupe retenu. Il y a aussi des civils comme Chiluba en Zambie et Moluzi au Malawi, qui ont voulu s’éterniser au pouvoir en modifiant les constitutions de leurs pays respectifs. C’est l’intervention des parlements dans ces deux pays qui a mis un terme à cela. Nous avons donc estimé que ceux-là n’avaient pas un attachement réel à la démocratie et à la bonne gouvernance et c’est pour cela qu’ils n’ont pas été invités à Bamako. Maintenant que la dynamique est lancée nous pensons que ces critères seront respectés pour les conférences à venir et que cela va susciter quand même beaucoup plus du travail de la part de ceux qui sont en exercice. Tant qu’ils auront un attachement au respect des droits de l’homme, ils pourront bien servir leur pays et à la fin de leur mandat ils pourront avoir une reconnaissance internationale qui leur permettra de jouer un rôle positif non seulement en Afrique mais aussi sur le plan international.
Le directeur régional Afrique de l’Ouest et du Centre du Ndi que vous êtes peut-il nous dire quelles sont les prochaines ambitions de cette organisation pour l’Afrique?
Effectivement il y a des activités qui sont en cours dans un certain nombre de pays et vous verrez que nous avons même profité de cette conférence pour réunir le staff régional et faire le bilan de nos différentes activités, question de mieux préparer les échéances à venir compte tenu du fait qu’il y a un certain nombre de pays dans lesquels le calendrier politique va demander beaucoup d’attention. Je prends par exemple le cas du Libéria où les élections de transition sont annoncées pour le mois d’octobre, la Guinée-Bissau qui prépare les élections dans des conditions un peu difficiles, le Nigeria avec les élections en 2007. il faut commencer tôt compte tenu de la dimension géographique et la complexité de la politique intérieure de ces pays. Le Sénégal va tenir ses élections législatives en 2006 et la présidentielle en 2007 ; nous avons également la République démocratique du Congo où la transition est en cours mais avec quelques difficultés. Des dossiers importants et brûlants existent et il faudrait qu’en collaboration avec mes collaborateurs nous voyions des projets sur lesquels nous allons nous focaliser pour les 12 ou 14 mois à venir.
Vous semblez esquiver le Cameroun dans vos prévisions. Bien sûr qu’il n’y a pas d’échéances qui s’annoncent mais il y en a eu en octobre et on n’a pas vu le Ndi agir comme dans les autres pays.Celui-ci serait-il encore aujourd’hui marqué par le syndrome de 1992, à savoir cette élection présidentielle au terme de laquelle il avait été vivement critiqué par le gouvernement camerounais? Faut-il en déduire que cet incident constitue aujourd’hui encore une entrave dans vos relations avec le Cameroun?
Non, je ne crois pas. Lorsqu’on est habitué à porter des critiques sur des élections mal organisées ou sur la gouvernance des régimes il faut aussi s’attendre à ce que ses activités fassent aussi l’objet des critiques. Ce ne sont pas tellement les critiques qui ont froissé les gens mais plutôt l’attitude du régime vis-à-vis des recommandations qui avaient été faites. Lorsque vous êtes critiqués par rapport à vos actions vous pouvez profiter de ces démarches pour ouvrir un débat sur les recommandations qui ont été faites soit pour prouver votre bonne foi ou pour exposer les faiblesses et les critiques dont vous avez fait l’objet. C’est au cours de ces échanges qu’on peut ensemble réfléchir sur les démarches à entreprendre avant de mettre sur pied un processus électoral fiable ou bien des instituts sur le processus démocratique, assurer la bonne gouvernance et une démocratie véritable dans un pays comme le Cameroun. Depuis 1992 donc le Ndi n’a pas d’activités au Cameroun mais il n’empêche que nous soyions en communication avec des démocrates camerounais de tous bords et continuons la réflexion sur l’avenir démocratique de ce pays. En tant que Camerounais, je suis préoccupé par l’avenir de mon pays, à l’heure actuelle comme dans l’avenir, et je crois que le moment venu le Ndi cherchera à apporter sa contribution.
Entretien réalisé par Pius N. Njawé à Bamako
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