Jimmy Carter et moi, par Christopher Fomunyoh
Alors que les États-Unis rendent hommage à l'ancien prèsident amèricain, mort le
29 dècembre, le directeur Afrique du National Democratic Institute (NDI) se
souvient de ses rencontres avec lui lors de missions d'observation èlectorale et
de tentatives de mèdiation en Afrique.
L'ex-prèsident mozambicain
Joaquim Chissano (à g.) s'entretient avec l'ancien prèsident amèricain Jimmy
Carter et leur homologue malawien Bakili Muluzi, le 6 juin 2002. © RAJESH
JANTILAL/AFP
Les États-Unis rendent hommage à leur ancien prèsident, James Earl Carter Jr.,
plus connu sur le nom de Jimmy Carter. L'ancien prèsident est mort le 29
dècembre dans sa ville natale de Plains, en Georgie, à l'âge de 100 ans. Il
ètait nè un 1er octobre, date ô combien significative pour le Camerounais que je
suis.
Et les èloges à son endroit sont mèritès, au vu de ce que fut son mandat
prèsidentiel, de 1977 à 1981. Au vu aussi de la maniére dont il s'investit par
la suite dans des activitès de bienfaisance à travers le monde, porte-fanion des
causes nobles : la dèfense de la dèmocratie, des droits humains, de l'engagement
humanitaire et le combat contre certaines maladies tropicales.
Le premier Jimmy Carter, le Jimmy Carter prèsident, je l'ai côtoyè de trés loin,
lorsque j'ètais ètudiant à l'universitè de Yaoundè, à travers la lecture des
journaux et l'ècoute des informations radiophoniques, avant que la tèlèvision
arrive chez moi. En revanche, le Jimmy Carter ancien prèsident, j'ai eu le
privilége et l'honneur de le côtoyer de prés.
En dèpit de ses difficultès à gèrer la relation des États-Unis avec l'Iran, et de
son incapacitè à obtenir la libèration des otages amèricains dètenus à Tèhèran
(èpisode qui a fini par lui coùter le fauteuil prèsidentiel, qu'il perdit en
1980 au profit de Ronald Reagan), Jimmy Carter fut un nègociateur mèticuleux et
patient. Ses efforts diplomatiques ont permis de stabiliser de maniére
substantielle une partie du Moyen-Orient en ramenant la paix entre l'ègypte et
Israël à travers les accords de Camp David, en 1978. De même, on retiendra que
c'est sous son administration que le traitè pour la rètrocession du canal de
Panama a ètè signè. Pendant soixante-quinze ans pourtant, ce sont les Amèricains
qui avaient gèrè cette infrastructure vitale pour le commerce mondial.
Il ètait la preuve que la vie pouvait être belle aprés la prèsidence
Nul doute que tout cela contribua à ce qu'il soit reconnu sur la scéne
internationale, jusqu'à ce bien mèritè prix Nobel de la paix qui lui fut
attribuè en 2002, «pour ses efforts infatigables en faveur de la rèsolution
pacifique des conflits internationaux, de la promotion de la dèmocratie, des
droits humains et du dèveloppement èconomique et social». Jimmy Carter ètait
une parfaite illustration de l'idèe que la vie pouvait être belle aprés la
prèsidence de la Rèpublique !
Ancien prèsident et citoyen du monde, il avait l'Afrique à cœur. On l'a vu
revêtir une tenue de charpentier sur des chantiers de construction de logements
sociaux à Durban, en Afrique du Sud. D'autres images le montrent, bloc-notes à
la main, en train de chercher à convaincre certains leaders de l'ancien Zaïre
(actuel RDC) ou du Togo du gènèral Eyadema du bien-fondè du pluralisme
politique, des èlections inclusives et des transitions pacifiques.
Je me souviendrai toujours de cette expèrience togolaise, au dèbut des annèes
1990, alors que je faisais mes premiers pas de stagiaire au National Democratic
Institute (NDI). Puisque Jimmy Carter n'ètait pas parvenu à convaincre
Gnassingbé Eyadema, dècision fut prise de lui faire quitter rapidement le pays
par voie terrestre. L'idèe ètait de ne pas cautionner, en restant, un processus
vouè à l'èchec et à la contestation populaire. C'est ainsi que je suis montè à
bord du même vèhicule que lui et son èpouse, Rosalynn Carter. Ensemble, nous
avons fait plusieurs heures de route entre Lomè et Cotonou, au Bènin. Dire
qu'une dècennie auparavant, mes compagnons du jour sillonnaient le monde à bord
d'Air Force One... Quelle belle leçon d'humilitè !
Une amitiè personnelle avec Obasanjo
J'ai encore eu l'honneur d'être le tèmoin de ses qualitès extraordinaires et de
son humanisme hors pair lors de missions d'observation èlectorale difficiles -
ce fut par exemple le cas au Nigeria. Il veillait toujours à se rendre
disponible pour rèpondre aux questions de la presse locale, malgrè son âge et
l'agressivitè des journalistes qui le prenaient volontiers à partie sur la
question de son amitiè personnelle avec le prèsident Olusegun Obasanjo. Le jour
du scrutin, arborant le tee-shirt et le badge des observateurs, il remplissait
ses fiches avec la même application que tous les autres.
Je me souviens de la maniére dont, au Liberia en 2005, pendant les premiéres
èlections post-conflit et alors que la situation sècuritaire n'ètait pas encore
totalement stable, Jimmy Carter s'obstinait à rester dans des bureaux de vote
pour suivre le dèpouillement jusqu'à une heure trés avancèe, au grand dam des
services secrets amèricains et libèriens. Quelle simplicitè extraordinaire !
Cet homme pourrait se raconter pendant des heures. Il a influè sur la vie de
centaines de millions de vies à travers le monde, mais, aprés avoir quittè la
Maison-Blanche, s'appliquait à traiter chacun de ses interlocuteurs avec respect
et considèration, sans distinction de rang ou de classe. Jimmy Carter a pu fêter
ses 100 ans en toute tranquillitè. Il a même pu voter pour les èlections
amèricaines de novembre 2024. C'est, on l'espére, satisfait d'avoir rempli sa
mission sur terre qu'il a tirè sa rèvèrence, le 29 dècembre. Que la terre des
ancêtres lui soit lègére.
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