Christopher Fomunyoh: L'impunité ne doit pas être la norme
Mutations, Cameroun
August 30, 2004
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Christopher Fomunyoh directeur Afrique du Ndi basé à Washington, réagi aux derniers événements politiques du pays, à quelques semaines de l'élection présidentielle."Les Camerounais de notre génération devraient pouvoir mieux gérer l'enracinement de la démocratie dans notre pays par rapport à nos aînés qui, faute de l'histoire, ont appris à fonctionner sur le régime de parti unique et de l'Etat bureaucratique et opaque. Le monde évolue assez rapidement et on ne peut se permettre de faire reculer le pays à haute potentialité humaine et matérielle qu'est le nôtre".
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Vous avez dû apprendre l'assassinat d'un responsable du Sdf à Balikumbat.
Je suis choqué et scandalisé de constater qu'en ce fin 2004, un crime aussi odieux puisse être commis dans notre pays contre un individu à cause de son affiliation politique et de ses prises de position lors d'un débat public. Je présente mes condoléances les plus attristées à la famille du défunt John Kohtem, et aux populations de Balikumbat et du Nord Ouest en général, qui sont assez traumatisées par cet incident déplorable et que je condamne. Comme j'avais eu à le dire lors des manifestations politiques qui ont coûté la vie à trois individus à Kumbo en octobre 2001, il n'y a pas de place pour la violence dans une société démocratique. En démocrates convaincus, les Camerounais devraient se sentir blessés dans notre recherche commune et constante de la paix et de la démocratie participative dans notre pays.En plus de ces considérations humaines et humanitaires, l'assassinat du responsable d'un parti politique à Balikumbat vient encore tenir ce qui reste de l'image de notre pays a l'intérieur comme sur le plan international. Pouvons nous prendre cet engagement collectif que ce soit un mort de plus, un mort de trop!
Les premières accusations sont dirigées contre le chef traditionnel de la localité.
C'est triste de savoir que le Chef traditionnel de Balikumbat est pointé du doigt dans cette affaire alors qu'il est sensé, d'après la tradition, veiller au bien-être de l'ensemble de la population de sa chefferie. J'attends de voir l'aboutissement de l'enquête ouverte par la gendarmerie et les autorités judiciaires de la province pour me situer de façon définitive, et je rejoins les élites de Balikumbat, les leaders du Sdf et de la Coalition de l'opposition, ainsi que les chefs traditionnels du Nord Ouest, pour demander que justice soit faite aussi rapidement que possible, et que les coupables soient traduits en justice, quel que soit leur rang social ou leurs appartenance politique. Il est vrai que le gouverneur Koumpa Issa et les services de sécurité de Bamenda font montre de beaucoup de tact et de compréhension dans la gestion des émotions suscités par cet assassinat, et cela est à encourager. Mais cet incident fait ressortir au grand jour trois maux qui minent la société camerounaise sous le régime actuel, a savoir: la confusion totale dans l'esprit de certains acteurs traditionnels entre leurs responsabilités culturelles et les activités de politique partisane surtout en faveur du parti au pouvoir; le cumul excessif des fonctions à l'instar d'une seule personnalité qui se trouve être chef traditionnel, maire, député et membre du comite central du parti au pouvoir; et le sens de l'impunité qui en découle et qui semble devenir la norme pour ceux qui se croient mieux protégés par le système du jour.
Pensez vous que ceci soit un prélude à la violence pendant la période électorale qui s'annonce pour les prochains moins?
J'espère que non! Et nous devons tout faire — la société civile, la presse, les églises et les mosquées, les leaders politiques de la mouvance présidentielle comme de l'opposition, et surtout l'Etat a qui incombe la responsabilité de veiller à la sécurité des personnes et des biens — pour que notre pays ne dérape pas. Le Cameroun mérite mieux que d'être abandonné aux caciques et extrémistes de deux bords. C'est un fait que les esprits sont souvent surchauffés en période électorale, surtout lorsqu'il y a désaccord sur les règles de jeux. Donc il revient à l'ensemble des acteurs que j'ai cité, et à chacun de nous, de prôner par la parole et aussi par des actes concrets la paix, la tolérance et plus d'ouverture démocratique pour des élections crédibles dans notre pays. La clarté de règles de jeu, un consensus autour de celles-ci avec une intention manifeste d'organiser et de participer à des élections crédibles et transparentes, constituent les meilleures assurances contre la violence en période électorale.
Vous parlez de l'église au moment ou des rumeurs ont circulé sur un "complot" contre le Cardinal Tumi, l'évêque le plus gradé de l'église catholique au cameroun.
Que pensez vous de cela?
Voila un élément de plus qui est susceptible d'accroître la tension sociale dans le pays et même sur le plan international, car le rayonnement du Cardinal Tumi dépasse les seuls frontières du Cameroun et de l'Afrique. Franchement, je suis attristé pour le Cardinal et le Président de l'Assemblée qu'ils soient visé par ce genre de rumeur selon les articles de presse que j'ai lu, et encore plus perturbé pour notre pays, qu'on ait cherché à semer le doute dans les esprits concernant le respect de droits de l'homme et des institutions de la république par certains de nos officiers généraux. Et pourtant certains parmi eux sont connus et respectés pour leur professionnalisme et leur sens élevé du patriotisme. Je suis stupéfait de n'avoir entendu aucune réaction officielle jusqu'à ce jour, comme si la paix intérieure et le sens de sécurité personnelle du Cardinal et du Président de l'Assemblée visés par les articles de presse portent peu, comme la réputation et le standing social de nos généraux et des officiers supérieurs. Ou bien des conversations ont eu lieu, auquel cas il faut diligenter une enquête et la conclure rapidement, ou bien il ne s'est rien passé, et il faut trouver moyen de rassurer et les intéressés, notamment le cardinal, et les populations. A moins qu'on cherche volontiers à semer la haine entre les Camerounais que nous sommes tous (malgré nos appartenances ethniques) ou de faire de certains de nos généraux des hommes de paille pour d'autres raisons.
D'après vous, les généraux n'ont pas leur mot à dire quant à l'avenir du pays?
Ce n'est pas "d'après moi", mais c'est la Constitution, les lois et règlements qui stipulent clairement que les Forces Armées et les services de sécurité dans le sens le plus large doivent rester en dehors de la politique. C'est un principe fondamental, une règle d'or dans toute société démocratique. Nos hommes en armes le savent et le respectent dans leur vaste majorité, des hommes de troupes aux généraux, en passant pas les sous-officiers, les officiers et les officiers supérieurs. Ils doivent rester apolitique, donc au service de l'Etat-nation et pas d'individu, encore moins d'une tribu ou d'un parti politique. Je n'ose pas penser un seul instant, et j'ai la chair de poule en l'imaginant même, qu'à ce jour certains pensent encore tribu ou ethnie alors que notre survie dépend de la consolidation de notre grand ensemble qu'est le Cameroun au sein du continent africain, faisant partie du village planétaire. Heureusement que d'après mon expérience personnelle, à l'époque où je travaillais à Douala au sein de la diaspora ces dernières années, la solidarité camerounaise prime, et de loin, sur ces questions a soubassement ethnique.
Pour revenir aux leaders de l'opposition, devrait-on les empêcher de marcher à Yaoundé pour les raisons de sécurité?
Voila une incongruité qui ne s'explique pas et qui ne peut pas se justifier de façon rationnelle. Je ne comprends pas qu'au Cameroun encore en 2004, on refuse aux leaders politiques le droit de manifester s'ils ont des doléances à présenter et qu'ils aient choisi cette voie pour se faire entendre. Ne serait il pas mieux, pour renforcer la liberté d'expression et la démocratie participative dans notre pays, de faire canaliser ces marches jusqu'à destination que de créer des circonstances pour une confrontation inutile? Comment expliquer que le Premier Ministre ne veut pas recevoir les leaders de l'opposition dont les revendications portent sur une consultation électorale aussi importante que la présidentielle, alors qu'il y a seulement quelques mois le même Premier ministre les recevait en grande fanfare pour une soi-disant consultation sur la mise en place de l'ONEL? Pourquoi fait-on douter des intentions réelles de ceux qui nous gouvernent ou bien sommes nous dans un système où tout le monde attend des "hautes instructions" pour faire un geste aussi élémentaire que de recevoir les leaders de l'opposition à leur demande. Pour éviter une polarisation excessive et inutile du débat politique, les différentes institutions étatiques devraient jouer un rôle pédagogique comme ça se fait ailleurs sur notre continent. Or on dirait que certains de nôtres sont paralysés dans une logique visiblement partisane et même archaïque comme à l'époque du parti unique. Ils ne devraient pas perdre de vue qu'en plus d'une 'victoire' obtenu de façon mathématique le jour du scrutin, il y a la légitimité qui, elle, s'obtient a force d'un comportement digne de démocrate avant, pendant et même après les élections.
Mais l'administration estime que les réclamations de l'opposition notamment pour ce qui est de l'informatisation du fichier électoral ne sont pas réalistes compte tenu du temps restant avant les élections.
Comment arrivent-ils à cette conclusion alors qu'ils n'ont pas reçu les leaders de l'opposition pour débattre de leurs revendications et d'examiner ensemble les différentes alternatives? Je refuse de croire que la meilleure concertation politique entre les principaux acteurs politiques du pays se tient par les média, les communiqués et la rue interposées. Voudrait-on nous faire croire qu'après la présidentielle de 1997, personne dans les hautes instances de l'Etat n'envisageait les prochaines élections présidentielles pour 2004? Que dire des recommandations de différentes organisations y compris l'envoyé spécial du Secrétaire Général des Nations Unies, et même de notre propre ONEL, après les élections législatives et municipales de 2002? A quelques mois de l'élection présidentielle, par exemple, certains se posent encore des questions tout à fait légitimes sur le chronogramme exact des activités électorales y compris des informations précises sur la manière dont la refondation du fichier va se finaliser avant le scrutin. Pourquoi attendre la dernière minute pour rendre ces informations publiques?
Vous devez partager ces idées avec l'administration!
Je ne manquerai pas de le faire de manière formelle dès que l'opportunité se présente, sinon je le fais déjà par de contacts informels mais permanents avec les amis et anciens camarade de faculté en espérant que chacun pourra en faire le meilleur usage. Les Camerounais de notre génération devraient pouvoir mieux gérer l'enracinement de la démocratie dans notre pays par rapport à nos aînés qui, faute de l'histoire, ont appris à fonctionner sur le régime de parti unique et de l'Etat bureaucratique et opaque. Le monde évolue assez rapidement et on ne peut se permettre de faire reculer le pays à haute potentialité humaine et matérielle qu'est le nôtre. Il ne nous est même pas permis de marquer le pas dans une autosuffisance intellectuelle ou dans la politique d'autruche prôné pas certains.
Propos recueillis par Alain B. Batongué
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